Chine

La vieille Pékinoise a quelque chose à dire

Les grands-mères ont leur talkshow : en Chine, l’émission "La vieille Pékinoise a quelque chose à dire" (北京大妈有话说) cartonne sur l’application WeChat et révèle l’usage très avancé que font les vieux Chinois du mobile. Les retraitées prennent la parole, commentent les faits divers, donnent leurs petites recettes miraculeuses ou leurs conseils avisés… On est allés dans leur studio rencontrer ces stars du troisième âge.

Réalisation et montage : Clément Boxebeld et Julia Mourri

Publié le :
1/1/2021

En Chine, WeChat libère la parole des personnes âgées


Le futur est déjà là — et c’est parfois en observant les plus âgés que l’on s’en aperçoit. Focus sur la Chine, avec la plateforme média "La vieille Pékinoise a quelque chose à dire" qui nous fait entrevoir comment l’application mobile WeChat change la vie de tout un pays, même des plus vieilles générations.


Avant d’être une star des réseaux sociaux, Ruan Yaqing était puéricultrice. À 65 ans, 5 ans après avoir pris sa retraite, elle est devenue l’une des présentatrices phares de la startup média "La vieille Pékinoise a quelque chose à dire", dont les vidéos cumulent des millions de vues sur l’application chinoise WeChat.

Tous les jours, elle se rend dans l’appartement rudimentaire qui tient lieu de studio et de bureaux pour la startup, perché au 16ème étage d’un immeuble anonyme de la banlieue pékinoise. L’ambiance y est digne d’un garage californien. Étriqués dans la pièce la plus étroite de l’appartement, sept jeunes développeurs, caméramans et monteurs travaillent à côté de Ruan Yaqing, qui attend le moment d’entrer sous les projecteurs pour enregistrer son émission quotidienne.

Une émission qui lutte contre l'isolement


Aujourd’hui, Ruan Yaqing a choisi de parler de son sujet de prédilection, la politique de l’enfant unique et ses conséquences sur la société chinoise. Droite dans sa robe de satin rose, face à trois caméras, elle aborde la souffrance des parents qui perdent leur unique enfant. "Ils sont très nombreux dans ce cas, c’est un enjeu social majeur pour notre pays. Le gouvernement a fait quelques gestes, mais ce n’est pas suffisant. Je pense qu’ils doivent recevoir un plus grand soutien matériel mais aussi psychologique", explique Ruan Yaqing, avant de pointer une conséquence encore plus importante de cette politique chinoise, l’isolement que ressentent les parents âgés lorsque leur enfant quitte le foyer familial pour rejoindre la ville. 270 millions de travailleurs migrants chinois vivent à plusieurs centaines de kilomètres de leurs vieux parents, et aussi de leurs enfants.

Révolution culturelle, grande famine, licenciements de masse dans les entreprises publiques à la fin des années 1990, politique de l’enfant unique… Les présentatrices de ce talkshow pour séniors se font chaque jour les porte-paroles de cette génération de parents marqués par les périodes les plus tourmentées de l’histoire chinoise. Et les vieilles générations s’y retrouvent : dans la région de Pékin, la plateforme vidéo a supplanté les magazines papiers traditionnels en tête des médias les plus en vogue chez les séniors. Les vidéos quotidiennes de 5 à 10 minutes sont diffusées principalement sur WeChat, ainsi que sur d’autres réseaux sociaux chinois. "Notre mission est de sensibiliser sur les problèmes auxquels font face nos aînés dans la société et de mettre en avant des solutions, nous explique Eric, le fondateur de la plateforme. Dans nos vidéos, les vieilles pékinoises donnent leur point de vue sur l’actualité ou transmettent leur expérience."


En face du grand aquarium qui trône au milieu du salon, une phrase a été imprimée sur des feuilles de papier : "Pas à pas, nous atteindrons les 100 millions de yens de valorisation". La startup existe depuis 2 ans et connait une croissance exponentielle. Ses épisodes quotidiens rassemblent en moyenne 2 millions de vues sur une audience constituée principalement de plus de 50 ans. "La vieille Pékinoise a quelque chose à dire" ambitionne de devenir la plateforme incontournable d’information et d’éducation pour les 230 millions de seniors de plus de 60 ans en Chine : outre les émissions d’actualité, ils y apprennent comment se servir des différentes fonctionnalités du mobile. Avec un nombre qui devrait atteindre 480 millions en 2050, le potentiel de marché des seniors est énorme et la startup est déjà soutenue par un grand acteur de l’Internet chinois, dont nous ne connaîtrons pas le nom.

Le succès de la startup destinée aux séniors n’est pas étonnant au regard du nombre croissant d’utilisateurs âgés qui rejoignent le "phénomène WeChat" — en septembre 2017, 50 millions d’utilisateurs mensuels actifs avaient plus 55 ans. On peut difficilement se passer de WeChat, même dans la vie "physique" où les paiements se font de plus en plus via mobile.

Pour faciliter son adoption parmi cette cible d’utilisateurs aux usages spécifiques — peu habitués à utiliser le pinyin, méthode de saisie du chinois avec l’alphabet romain, les seniors préfèrent appeler ou laisser des messages vocaux — WeChat développe ses fonctionnalités de reconnaissance vocale ainsi qu’une application pré-installée ("mini-program") pour aider les jeunes générations à expliquer le fonctionnement de l’application à leurs parents. L’application promeut aussi dans ses vidéos, un véritable "lifestyle" où connexion rime avec plus de proximité avec sa famille, ses amis, et un accès plus simples aux services du quotidien. Les seniors constituent ainsi le groupe d’utilisateurs qui connait la croissance la plus rapide sur l’application.


"On peut tout faire avec WeChat, explique Ruan Yaqing, la présentatrice. On peut payer dans n’importe quel magasin, accéder aux informations, créer des groupes de discussion, se divertir…" Dans ses vidéos, en plus de parler de l’actualité politique, la "vieille Pékinoise" explique à ses fans comment explorer toutes les ressources de WeChat. "Je leur apprend par exemple à utiliser le 'hongbao', la traditionnelle enveloppe rouge chinoise — un don d’argent sensé porter bonheur. WeChat y a ajouté un système de loterie pour s’envoyer aléatoirement de l’argent entre amis ! J’adore cette fonctionnalité."

Et son public le lui rend bien : "Je ne peux pas aller au supermarché sans croiser une personne âgée qui me remercie d’avoir changé sa vie", nous confie-t-elle, le sourire aux lèvres, en traçant de ses doigts un caractère chinois sur l’écran tactile de son portable.

— Texte et photos : Clément Boxebeld et Julia Mourri

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