"Analyse, précision et ténacité mènent à un travail de qualité", c'est la devise d'Hélène, femme tailleur homme. Sa "tolérance zéro" et son envie de transmettre le "travail bien fait" lui ont permis de décrocher le titre de Meilleur Ouvrier de France en 2000.
— Réalisation : Clément Boxebeld, Julia Mourri | Montage : Anna Brunstein
"Analyse, précision et ténacité mènent à un travail de qualité." La devise d’Hélène Serdeczny reflète bien la femme qui se tient devant nous. Coupe courte et blanche, chemise parfaitement repassée, pantalon de tailleur droit, mètre autour du cou et lunettes au bout du nez, cette couturière et tailleur pour hommes de 74 ans aime "le travail bien fait". Lorsque nous arrivons, elle coupe un tissu de laine fine armée d’une grosse paire de ciseaux. Les mêmes depuis plus de 60 ans. Nous sommes à Crolles, à 20km au nord-est de Grenoble, dans l’atelier de l’un de ses anciens élèves, Jérémy Bonadies.
Hélène décide d’être couturière alors qu’elle est encore enfant. Son père sonde son propre tailleur, qui conseille : mieux vaut pour la jeune fille apprendre le tailleur homme, "parce que c'est plus difficile, rigoureux". Là où le tailleur dames autorise plus de fantaisie — retombé du tissu, longueur de la robe… —, chez les hommes on passe la laine au fer, on l’écrase au niveau du genou, on galbe le mollet. Tolérance zéro, pas de place pour le "on fera comme-ci, on fera comme ça". "Quand on sait faire du tailleur homme, on sait faire du tailleur dames."
Sortie de l’école, Hélène commence à travailler pour de grands couturiers comme Thierry Mugler, avant de se tourner vers l’enseignement. En 2000, alors qu’elle enseigne au lycée Jacques Prévert à Fontaine, en Isère, elle se présente au concours "Un des Meilleurs Ouvriers de France" et obtient le titre dans la spécialité maître tailleur. Dès lors, elle se donne pour devoir de transmettre son savoir à des jeunes le plus longtemps possible.
La première chose qu’elle leur apprend ? "Que l’art du tailleur, c'est d’habiller quelqu’un : il faut qu’il ressemble à quelque chose une fois qu'il a mis son vêtement." Que le vêtement attire l'œil dans la rue. "Il m’arrive de croiser une personne qui porte un habit qui a une bonne coupe, une couleur un peu fantaisie, quelque chose qui le démarque de l'ensemble des autres. Je me retiens de l’arrêter pour lui demander : ‘Où est-ce que vous avez fait ça?’"
Retraitée, Hélène continue donc de transmettre, "parce qu’on n’est pas éternel", en particulier à ses anciens élèves. Parfois, comme avec Jérémy, la professeure reprend le dessus. "Je vois une petite faute", pointe-t-elle en suivant le revers d’une veste confectionnée par lui. "On ne casse jamais jusqu'au bouton".
À bien les observer pourtant, le jeune homme en apprend tout autant à la maître tailleur. Et c’est tant mieux, Hélène a toujours soif d’apprendre. Outre les nouvelles machines, qu’elle découvre auprès de Jérémy — "Il faudrait que je fasse un stage chez lui"— son apprenti lui parle de la mode actuelle. Elle découvre que les jeunes portent des costumes avec des baskets et retroussent ainsi leur pantalon. "Si on voit une talonnette, c'est moche", dit Jérémy. "C'est vrai", approuve Hélène. Elle découvre aussi de nouveaux matériaux, un choix de coloris plus large que lorsqu’elle a appris le métier, et les proportions, qui ont changé : les pantalons se portent maintenant près du corps. "Jérémy est vraiment à la mode, il n'est pas ringard, il est vraiment au top de ce qui se fait !", s’exclame la professeure, admirative.
Une génération sépare les deux amis, mais tous deux partagent la même approche du costume sur-mesure : se démarquer en choisissant la matière, les coloris, les finitions d’un vêtement qui dure. Surtout, que la personne s'y sente bien. En résumé : "Qu’elle ait l’impression d’avoir une deuxième peau".
— Texte : Julia Mourri, Photos : Clément Boxebeld, Julia Mourri
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