Dans son atelier, Odile a cent paires d'yeux braqués sur elle. À 89 ans, elle est couturière pour poupées. Elle passe ses journées à rhabiller Typhaine, Sixtine ou Aglaé, avec qui elle a de longues conversations...
— Réalisation : Clément Boxebeld, Adèle Cailleteau | Montage : Adèle Cailleteau
Vêtue d’une robe à volants en taffetas gris et d’un chapeau assorti, Typhaine est installée sur le bureau. À côté se tiennent Aglaé, Alizon ou Sixtine. Chacune d’elles porte une robe cousue à la main et sur-mesure, dans des tissus qui viennent des maisons de couture parisiennes - ou plus précisément des chutes de tissus sorties de leurs poubelles.
Chez Odile Gain, dans les 10 m² de son atelier, c’est un défilé de mode permanent. C’est que notre hôte ne rhabille pas n'importe qui : juste un coin de table lui suffit pour dessiner son patron et découper le tissu. Celles à qui elle coud des vêtements ont une centaine d'années mais ne mesurent que quelques dizaines de centimètres. Ce sont des poupées anciennes. De leur morphologie à la forme de leur visage en passant par leur coiffure, tout est passé en revue pour que la robe cousue siée parfaitement au modèle.
La passion d’Odile pour les poupées remonte à 1940. Son père était parti faire la guerre, sa mère n’avait pas d’argent, et donc la fillette de 7 ans n’avait pas de poupée. "Les seules que j’avais, c’étaient celles que je faisais dans de vieux draps, se souvient-elle. Je les bourrais de son de blé et figurez-vous qu’un matin, elles n’avaient plus de tête, parce que les souris étaient passées manger le son."
En fauteuil roulant aujourd’hui, c’est dans cette pièce qu’Odile passe le plus clair de son temps, auprès de ses poupées. Les rhabiller a toujours fait partie de sa vie mais c’est à la mort de ses parents à la fin des années 70 qu’elle s’y est mise avec autant d’assiduité. D’abord des poupées normandes, puis des poupées anciennes. "Je discute avec elles, je leur dis quand quelque chose m’a dérangé… Elles ne sont pas contrariantes, elles sont toujours de mon avis !", plaisante-t-elle.
Cette après-midi, elle commence par changer les élastiques qui tiennent entre eux les membres de Sabine. À la manière d’une chirurgienne, elle se sert d'une pince à clamper. En fond sonore, on entend la mélodie de "Comme un p’tit coquelicot". C’est Claude, le mari d’Odile, qui joue du violoncelle dans l’autre pièce. Il a 90 ans et l’oreille dure mais continue à s’exercer presque tous les jours.
Odile remet à Sabine ses dessous, puis prend ses mesures. En moins d’une minute, elle a fabriqué son patron. C’est que des poupées, elle en a rhabillé une centaine. Viennent ensuite la découpe du tissu - il est mauve et brodé - et son assemblage. Claude vient jeter un œil. Penchée sur son fauteuil, il s’exclame : "Tu es plus douée que moi !" Puis se retourne vers nous : "Je lui dis ça, elle ne veut pas me croire ! Elle fait mieux en couture que ce que je fais en musique", dit-il dans un sourire.
— Texte : Adèle Cailleteau, Photos : Adèle Cailleteau, Clément Boxebeld
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