Pierre croque la vie : tout ce qu'il voit devient croquis. Il croquait avant de savoir écrire et a parcouru le monde, sans appareil photo mais son carnet à la main, à travers 90 pays. Pour lui, l'art du croquis, c'est prendre le temps, en quelques secondes, de voir les choses qui nous entourent.
— Réalisation : Clément Boxebeld, Julia Mourri | Montage : Richard Adle
Pierre ne sait pas faire qu’une seule chose à la fois. Qu’il marche, regarde la télé, parle à quelqu’un, il est toujours stylo à la main, en train d'esquisser à la hâte le croquis de ce qu’il a sous les yeux.
Il nous accueille un matin nuageux dans le petit village de Lourmarin, en Provence. C’est là que le croqueur de 86 ans habite et tient sa boutique de carnets de voyage. Regard bleu et vif, barbe blanche, casquette rouge vissée sur la tête et cardigan vert, le bonhomme est aussi coloré que ses dessins et, si nous avions son don, il finirait assurément dans notre carnet. En attendant, Pierre a sorti le sien et se plante devant le château de Lourmarin, sur la colline d’en face, pour nous faire une petite démonstration de son coup de crayon.
Natif de Cadenet (Vaucluse), Pierre croque les copains ou sa grand-mère avant même de savoir écrire. Sa passion pour le dessin l’amène à s’engager dans une carrière d’architecte. Puis à 44 ans, un voyage en Asie va changer sa vie. Emerveillé par les couleurs, les rizières, la lumière de la Thaïlande, il réalise : il faut le voir, ce monde. Et pour bien le voir, il faut le dessiner.
Pierre se lance dans l’exploration de 90 pays. Il voyage malgré l’inconfort parfois, les intempéries, la chaleur. Il veut "mouiller la chemise". Et pour dialoguer avec d'autres populations sans parler leur langue, le croquis est une porte d'entrée formidable. "Je suis cabotin", dit-il. Pierre aime séduire ceux autour de lui qui, intrigués, s'approchent pour suivre son dessin. Le secret : être rapide. "Si vous êtes encore en train de crayonner ou de gommer, ça n’intéresse plus personne. S'il y a trois couleurs à mettre, un grand parasol, je les mets vite ! Pour que le premier qui vient regarder puisse déjà imaginer le résultat."
À la différence de ses amis photographes, Pierre ne se cache pas pour croquer, au contraire. "Le photographe doit être discret, il évite de montrer aux gens qu'il les photographie. Le croqueur, ça passe ! D’abord, on ne sait pas ce qu’il fait. Puis petit à petit, on voit qu'il a compris ce qui l'entoure. Et les gosses viennent voir."
Bien que le geste soit rapide, faire un croquis, c'est justement prendre le temps de voir. "Avec le numérique, on regarde de moins en moins. On peut mitrailler, ça ne coûte plus rien. On se débarrasse. Oh le beau paysage, clac ! Oh le bel attelage, clac ! Oh la belle fresque, clac ! Mais est-ce qu’on a regardé ?" Il arrive qu'un compagnon de voyage prenne son carnet à leur retour et lui dise alors : "Pierrot, t’as vu des trucs qu’on n’a pas vu !"
Il n’y a qu'à l'heure de l'apéro, quand Pierre a un pastis à la main, qu’il ne peut pas croquer. Dans son atelier, au deuxième étage de sa maison, l'artiste nous montre ses planches de voyage, bien sûr, mais aussi les croquis du quotidien, ceux de présentateurs télé, de tennismans en plein Rolland Garros, d’acteurs ou de stars apparus dans une émission. Sur un mur, une affiche de Lourmarin des carnets, le salon du Carnet de voyage que notre hôte organise tous les ans. La dernière édition a eu lieu à l’automne et a réuni 40 carnetistes "globe croqueurs", qui ont installé leurs stands dans les ruelles, projeté leurs œuvres et dessiné devant les habitants et les touristes. Pour faire venir les voyages dans son village.
— Texte et Photos : Julia Mourri, Clément Boxebeld
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