Bijoutier, orfèvre, émailleur, dinandier, doreur : Gérard Muller est un peu tout ça à la fois. Dans son atelier à Colmar, il réalise toutes sortes de créations et réparations liées au métal.
— Réalisation : Adèle Cailleteau, Clément Boxebeld | Montage : Christophe Bleuse
326 euros. Voilà la retraite que Gérard Muller, décorateur sur métaux depuis 1967, touche aujourd'hui. C’était le point de départ de notre venue à Colmar. Mais l’artisan a bien plus à raconter. "Vous savez qui est né à Colmar ?", m’a-t-il demandé la première fois que nous nous sommes parlé au téléphone. "Bartholdi !", qui a fabriqué la statue de la Liberté offerte par la France aux Etats-Unis. Avant d’arriver à son atelier, j’avais peur qu’il ne soit pas très coopératif, un peu dans la Lune. Lors de notre dernier échange, il m’avait répété "on verra, on verra" quand je lui demandais s’il aurait un travail sur métal à faire devant nos caméras. Il a finalement joué le jeu, et même avec humour.
Blouse blanche sur le dos, Gérard nous accueille avec des coupures de presse préparées pour notre venue et des classeurs dans lesquels il a répertorié toutes ses créations et restaurations. C'est que notre hôte a un esprit de collectionneur : il possède des centaines de lampes de soudure, a visité 500 châteaux de la Loire et photographié chacune de ses réalisations. Elles vont de l'infiniment grand à l'infiniment petit : d'une œuvre décorative de trois mètres sur trois pour le siège du Crédit agricole à Colmar à des bijoux d'une modernité étonnante, bien que réalisés il y a 50 ans. Gérard a aussi restauré le portail principal de la cathédrale de Strasbourg dans les années 1980 et fabriqué une quarantaine de tabernacles pour des églises.
Formé aux Arts Décoratifs de Zurich puis chez un orfèvre, il maîtrise toutes sortes de techniques : dorure, cuivre repoussé, émail, électrification des lustres, etc. Bijoutier, orfèvre, émailleur, dinandier, doreur : Gérard est un peu tout ça à la fois. Il utilise des métaux pour en faire des créations. "C'est normal que je sois le seul à faire ça, c'est trop vaste", explique-t-il simplement. Il nous montre un tas de réalisations au design épuré et marquées par un vrai style, sans sembler n’y rien trouver d’exceptionnel.
Le jour de notre venue, Gérard a un lustre à restaurer. Il commence par le décortiquer, attrape l'un de ses bras pour en raviver la couleur. Il le chauffe au chalumeau, avant de le tremper dans de l'acide puis de le polir. En dix minutes, son éclat réapparaît. On veut des photos de Gérard avec la flamme de son chalumeau, il se prête au jeu et reste blagueur. "Vous payerez le gaz, hein !"
Il pensait aussi avoir un calice (vase sacré des Chrétiens) à nous montrer mais la commande a été annulée. L'église a moins de moyens aujourd'hui, Gérard Müller le ressent, puisque ce fut son principal client. "Comme le père construisait des églises, je travaillais beaucoup pour l’évêché", détaille l’Alsacien. "Maintenant, c'est surtout des antiquaires qui viennent pour de la dorure ou retaper des objets en cuivre, en laiton, en bronze ou en régule."
Le décorateur de métal est aussi un créateur. Il a participé à de nombreuses expositions et les murs de son atelier sont en partie recouverts d'œuvres et de croquis. Il y a surtout ce panneau décoratif en cuivre ornementé d'émail bleu et à la géométrie harmonieuse. Gérard a tiré son inspiration d'un chêne – c'est souvent ce qui l'entoure qui lui donne des idées. Une création dont il est particulièrement fier ? Pas vraiment, chaque pièce est une fierté. Gérard aime donner forme à l’informe.
À une époque, Gérard passait 70 heures par semaine dans son atelier – avec toujours de la musique en fond. Il a fêté ses 80 ans en juin dernier mais continue à y être du lundi au jeudi. C'est un peu la faute à sa minuscule retraite qui ne permet pas aux artisans de cette génération de vivre décemment.
En 50 ans de travail, Gérard n'a officiellement cotisé que 97 trimestres et il n'y a pas de retraite minimum pour les artisans et les professions libérales. "Mais bon, j'ai choisi", dit-il philosophe. On ne perçoit ni regret, ni amertume. Parce que c'est surtout l'amour de son métier qui le fait venir là, même un 11 novembre : "J'en ai besoin, je ne peux pas me passer de l'atelier, il faut que j'y aille tous les jours", nous raconte-t-il. "Quand j'étais à l'hôpital à 500 mètres, je voyais la tour de l'église qui est à côté. Ça me faisait mal de ne pas y aller. J'étais malade de pas pouvoir sortir de l'hôpital."
— Texte : Adèle Cailleteau, Photos : Clément Boxebeld, Adèle Caileteau
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