Robert est né dans les copeaux. Il tourne le bois depuis l’âge de 14 ans, il en a aujourd’hui 88. C’est son père qui a construit sa tournerie, classée monument historique à Arinthod, dans le Jura. Il est l’un des derniers tourneurs de sa région et si vous y passez, il vous ouvrira grand les portes de son atelier, vous fera découvrir son travail et vous racontera deux trois petites blagues dont il a le secret.
— Réalisation : Clément Boxebeld, Julia Mourri | Montage : Richard Adle
À mesure que Robert tourne, les copeaux s’accumulent délicatement à ses pieds et s’envolent lorsque l’air frais s’engouffre dans l’atelier. Comme tous les matins à dix heures, le tourneur sur bois de 88 ans est sorti de sa maison et a traversé la route qui le sépare de sa tournerie, située juste en face.
Le bâtiment, classé monument historique, a été construit par son père qui, lorsqu’il arrive sur les sommets d’Arinthod en 1932, trouve une petite ferme et y monte son atelier. Tel qu’on le voit aujourd’hui, avec ses poulies et courroies, ses gouges et ses racloirs accrochés au mur, le poêle qui chauffe la grande pièce, l’atelier n’a jamais été modifié. Les machines sont restées au même endroit et tournent toujours. Et au milieu de tout ça, Robert, qui manie tranquillement la gouge et le bédane depuis l'âge de 14 ans.
"La première chose, c'est d'aimer le bois. C'est une matière vivante avec laquelle il faut se battre", nous dit Robert. Oui, mais on ne se bat pas avec n'importe quel bois. Seulement des bois de la région et des bois nobles, s'il vous plaît : noyer, poirier, merisier. Le buis ? "Ce n'est pas un arbre, mais un arbuste !"
Au tablier, Robert préfère sa veste de travail. Dans ce métier, dit-il, il faut avoir les mains libres : un long tablier gênerait ses mouvements. Il visse sur sa tête une casquette du même bleu que ses yeux et se poste devant l’ouvrage. Son programme de la journée : continuer de reproduire en miniature une voiture Citroën décapotable de l’avant-guerre. Il actionne le levier dans l’entrée et les machines au-dessus de nos têtes se mettent à tourner à toute vitesse, entraînant les longs câbles, reliés à son tour.
Pour comprendre comment tout ça fonctionne, il prend l’exemple d’une bicyclette, qui avance grâce au pédalier, à la chaîne et aux pignons. Le pédalier correspond au moteur, les pignons aux rouages et la chaîne aux sangles, qui sont directement reliées au tour. "Nos vieux, ils n’ont rien inventé !, s'exclame-t-il. Le reste, c’est la force du tourneur, qui maîtrise son outil."
Pour nous en faire une petite démonstration, Robert sculpte en quelques secondes une figurine aérienne et fragile. "C'est juste pour montrer jusqu’où nos mains nous permettent d’aller en finesse, dit-il, modeste. C'est l'importance des mains. On n'y croit plus, qu'on peut faire quelque chose de ses mains."
Le retraité est le seul à tourner encore dans la vallée. Ici, le tournage sur bois a fait vivre de nombreuses familles jusqu'à la fin des années 1990, avant que les artisans ne partent à la retraite sans être remplacés. Le nombre d’entreprises de tournage sur bois serait aujourd'hui inférieur à 50, selon l’Union nationale de l’Artisanat des métiers de l’ameublement (UNAMA).
Dans les deux pièces attenantes, des dizaines d'objets fabriqués par Robert : 110 coquetiers tournés dans des bois différents, des jouets, des luminaires, des pieds de table, des ballots d'escalier, des mannequins pour les grands magasins — il en a fait pendant dix ans, des milliers — des plats, des voitures... Et, depuis qu'il est meilleur ouvrier de France, 23 chefs-d’œuvre. "J'aurais pu en remplir tout un train !", résume-t-il.
Robert n’a pas de repreneur. Mais depuis que son métier est devenu son passe-temps, il ouvre son atelier aux visiteurs de passage pour leur transmettre son savoir-faire et leur raconter deux trois blagues. Près de l'entrée, un cahier est rempli des mots des visiteurs venus depuis l’été. Il a eu du monde tous les jours. Vous y serez donc bienvenue si vous passez dans sa vallée. "Pour peu que vous entendiez la plaisanterie", prévient Robert.
— Texte : Julia Mourri, Photos : Clément Boxebeld, Julia Mourri
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