Colombie
Lorsqu’il avait 6 ans, le petit Albeiro Vargas se débrouillait pour faire survivre les vieux de son quartier, à Bucaramanga, en Colombie. Trente-trois ans plus tard, Albeiro a créé une fondation dans la région de son enfance qui rassemble tous les jours 260 personnes âgées abandonnées et les enfants du coin, leurs "anges gardiens". Une façon pour les jeunes et les vieux d’échapper à la rue.
Réalisation et montage : Clément Boxebeld et Julia Mourri
En Colombie, 2,8 millions d’aînés ne perçoivent aucun revenu, et 1,5 million ne reçoivent que 70 000 pesos (20 euros) par mois. Après 60 ans, plus de la moitié des Colombiens se retrouvent dans l’obligation de travailler, souvent de manière informelle. (1)
Pour comprendre comment le pays s’adapte au vieillissement de la population, mais aussi comment sont considérées les personnes âgées dans la société colombienne, nous avons interrogé Robinson Cuadros, médecin gériatre et président de l’Association colombienne de gérontologie et de gériatrie.
Bonjour Robinson. Pour commencer, peux-tu nous raconter comment sont perçus les vieux dans la société colombienne ?
L’enquête nationale sur la santé, le bien-être et le vieillissement (SABE 2015), publiée par le ministère de la Santé, identifie que les trois quarts de la population âgée ne sont pas considérés comme "vieux", étant donné que la vieillesse est culturellement associée à la maladie et au handicap.
La plupart disent qu’ils ne se sentent pas vieux parce qu’ils n’ont pas besoin d’aide pour se déplacer ou effectuer des tâches quotidiennes.
D’autre part, la Colombie est un pays où la beauté féminine, la chirurgie plastique et la mode ont un rôle culturel très important dans les médias. Vieillir représente donc pour beaucoup un déclin corporel et esthétique. La vieillesse est donc rejetée dans l’imaginaire collectif.
Quels dispositifs sont pour l’instant en place pour les personnes âgées, en terme de système de retraite, assurance, etc. ?
Il existe un modèle de pension de retraite, mais dans les faits, seulement 25% des personnes âgées en bénéficient, et les inégalités se renforcent dans les zones rurales, où une personne sur dix seulement touche ces indemnités.
Il n’y a malheureusement pas de couverture universelle, seulement une subvention pour les personnes âgées en situation de pauvreté extrême dans le cadre du "programme de la Grande Colombie", qui donne droit à une pension mensuelle d’environ 27 euros.
En ce qui concerne les soins, ils sont difficilement accessibles dans plusieurs régions du pays, même si officiellement 96% des personnes de plus de 60 ans ont une affiliation au système de santé. Une filière gériatrique a été créée, qu’on essaie toujours de mettre en place. La Colombie compte 80 médecins spécialisés en gériatrie et 52 gériatres en formation. Ce n’est évidemment pas suffisant comparé aux besoins du pays. Il existe des programmes axés sur les personnes âgées vulnérables telles que les centres de jour et les centres de protection sociale, ou encore les résidences gérontologiques de l’État, qui sont subventionnés avec une taxe appelé "Tampon pour les personnes âgées". C’est un pourcentage qui est récolté par toutes les municipalités et villes du pays sur le montant des contrats passés dans le marché public.
Quels sont les défis auxquels la société colombienne doit répondre dans les prochaines années?
La Colombie, comme d’autres pays comme la Malaisie ou la Corée du Sud, connaissent un vieillissement qui s’accélère rapidement (2). On compte environ 5 000 centenaires dans notre pays et l’espérance de vie augmente de façon exponentielle. En même temps, six jeunes sur dix déclarent ne pas désirer d’enfants actuellement.
Du coup, on fait face à plusieurs défis. Le plus urgent, selon moi, c’est de promouvoir une approche qui serait fondée sur les droits humains en ce qui concerne l’adaptation des politiques publiques et la protection des personnes âgées.
Dans un second temps, il est urgent de mettre en place une protection économique universelle pour éliminer les situations d’extrême pauvreté chez les personnes âgées.
Un autre enjeu est l’intégration d’un système de santé sociale axé sur les besoins des personnes (prévention) et pas tellement sur les maladies aigües et chroniques. Il faut aussi mettre en place des normes de qualité pour la prise en charge des personnes âgées harmonisées au niveau territorial évaluées par une entité centralisée et former d’autres professionnels du vieillissement à des protocoles de soins intégraux.
Enfin, l’un des grands défis, en Colombie comme dans de nombreux autres pays, c’est de générer des discours positifs autour de la vieillesse, et de rendre plus accessibles les services de transport, l’éducation et l’emploi aux vieux. L’idée est d’inclure davantage les personnes âgées socialement et les faire participer aux prises de décisions sociétales.
Du coup, comment la société colombienne peut-elle adapter son modèle au vieillissement de sa population pour faire face à ces défis ?
Mes recommandations sont claires et précises :
— Texte et photos : Clément Boxebeld et Julia Mourri
(1) Chiffres : Estudio Nacional de Salud, Bienestar y Envejecimiento (Sabe), ie l’institut national de la santé, du bien-être et du vieillissement
(2) Rapport de l’International Euromonitor de 2017
Le portrait des vieux de la vieille, l'histoire des savoir-faire et les coulisses du média, on vous dit tout dans la newsletter papyrus.