Notre podcast Coups de Vieux revient pour un épisode exclusif ! Laurence ne pensait pas pouvoir tomber amoureuse à 80 ans. Un homme rencontré en ligne l'a fait changer d'avis. Elle a envoyé près de 20 000 euros à cet arnaqueur aux sentiments.
Un épisode réalisé par Adèle Cailleteau.
"Les grands-mères, c'est fait pour aimer ses petits-enfants, tricoter et regarder la télé." C'est par là que Laurence commence, d'une voix timide, pour raconter comment elle est tombée amoureuse d'un arnaqueur. En deux mois, elle lui aura envoyé 17 000 euros au total.
Tout a commencé il y a un peu plus d'un an. Un certain Laurent Clerc contacte Laurence sur Facebook pour faire connaissance. "De nature curieuse", comme elle le dit elle-même, elle se prête au jeu mais met en garde ce mystérieux inconnu : elle fêtera bientôt ses 80 ans. "Laurent" n'est pas découragé. Il lui témoigne beaucoup d'intérêt, lui pose des questions sur la vie qu'elle mène, la vente de sa maison, son déménagement dans une résidence sénior...
Rapidement, ces échanges – toujours via la messagerie instantanée de Facebook – rythment le quotidien de Laurence. "Je ne regardais même plus la télé", se souvient-elle. Ils communiquent tous les jours, pendant plusieurs heures. Les propos qu'il tient à son égard sont toujours très corrects, il attend même un mois avant de lui proposer de se tutoyer. Aujourd'hui, Laurence s'en rend compte : elle est tombée amoureuse, "comme une ado", d'une personne qu'elle n'a jamais rencontrée et qui sans doute n’existe même pas.
Lui raconte des histoires, où vol, voitures, Maroc et argent s'entremêlent. Il commence par demander à Laurence de lui envoyer de petites sommes – soi-disant pour payer l'hôtel ou s'acheter à manger – puis 10 000 euros. "J'ai avalé tout ça comme une petite fille", se dit-elle la voix remplie d'émotion. C'est ce dernier envoi qui fait s'écrouler l'affaire. La banque accepte le virement et s'affole ensuite. La fille de Laurence est prévenue, sa famille identifie l'arnaque et la conduit au commissariat pour porter plainte. Elle nous montre son témoignage, soigneusement rangé dans un classeur qui consigne tous les documents sur cette affaire – fausse reconnaissance de dettes, confirmation de virement, récits des faits.
"Même l'argent dépensé ne me chagrine pas, c'est secondaire par rapport à ma souffrance morale", écrit Laurence dans l’un des textes qui relate ses mésaventures. Entre sa famille proche qui ne veut plus en entendre parler et la honte qui empêche Laurence de se confier, elle s'est tournée vers l'écriture. Paradoxalement, c'est aussi sur Facebook qu'elle a trouvé d'autres victimes d'arnaques dites aux sentiments avec qui partager sa peine. Sur le groupe Stop Arnaques France, des dizaines de membres lui ont apporté soutien et réconfort.
Depuis, Laurence a appris. La semaine avant ma venue, elle venait de recevoir une nouvelle demande en ami d'un inconnu "pour faire connaissance". Cette fois, Laurence a rapidement flairé le piège : "J'ai déjà donné", lui répond-elle. À lui de demander, naïf : "Tu as donné quoi ?"
— Adèle Cailleteau
Dans les parcours d’assistance que vous effectuez via la plateforme cybermalveillance.gouv.fr, quelle place tiennent les arnaques aux sentiments ?
Depuis les débuts de la plateforme en octobre 2017, nous avons assisté 500 000 victimes de cybermalveillance. L'escroquerie aux sentiments n'est pas une menace majeure : elle représente aux alentours de 1 ou 2 % des parcours d'assistance que nous effectuons. Mais c'est un phénomène continu, qui se maintient. Et si le chiffre est faible de notre point de vue, les préjudices sont très élevés : 17 000 euros dans le cas que vous évoquez, c'est très significatif. Ça peut parfois représenter les économies d'une vie.
Observé depuis l'extérieur, le piège semble évident. Sur quelles cordes jouent l'escroc dans l'arnaque aux sentiments ?
Sur la confiance et l'espoir qu'inspire une relation amoureuse. Un escroc est avant tout un très bon psychologue. Tout son art est de faire croire à la victime qu'il nourrit des sentiments sincères pour elle pour qu'elle lui fasse des remises d'argent, parfois en promettant de partir ensemble en voyage de noces par exemple. Vous connaissez l'adage selon lequel l'amour rend aveugle et c'est d'autant plus vrai quand on a à faire à quelqu'un de malhonnête. Et ça ne date pas d'internet. L'abus de faiblesse sur personne vulnérable et la tromperie ont toujours existé mais les réseaux sociaux et les sites de rencontre sont une caisse de résonance énorme. Au lieu de solliciter chacune de ses victimes dans le métro pendant une demi-heure, l'escroc sur internet peut avoir cinq onglets ouverts et converser avec cinq victimes en même temps ; et il va à coup sûr trouver des victimes, en parcourant les sites de rencontre et les réseaux sociaux principalement.
Est-ce qu'il y a un profil type de victimes ?
Il n'y a pas de profil-type en termes de catégorie socio-professionnelle et nous n'avons pas les informations en termes d'âge. Mais il y a selon moi un profil-type en termes psychologiques avec des gens qui sont en état de besoin affectif, à la recherche d'une belle histoire de couple, ou dans des états psychologiques fragilisés.
Est-ce que les femmes ou les hommes en sont davantage victimes ?
Ce type d'arnaque touche autant les hommes que les femmes, d'après ce qu'on observe sur cybermalveillance.gouv.fr. Sauf qu'avec les hommes, elle va plus régulièrement aboutir sur une "sextorsion" : la victime, dans le cadre de sa relation amoureuse supposée, va s'exhiber devant sa webcam ou communiquer des photos nu à sa soi-disant amoureuse qui va profiter des images en faisant du chantage pour obtenir encore plus d'argent. Même dans le cas où la victime se rend compte qu'il y a un problème, elle est piégée, parce qu'elle a transmis des éléments de sa vie personnelle et de son intimité.
Pour les femmes, on voit moins de débordements vers des sextorsions. Dans leur cas, les escroqueries sentimentales débordent plutôt vers du faux placement financier. L'escroc prétend avoir de super placements selon la rhétorique : "Fais moi confiance, c'est mon domaine d'activité, grâce à moi, parce que je t'aime, je vais te brancher sur des placements très rentables." Bien entendu, aucun placement n'est effectué, mais l'argent est bien débité.
Comment peut-on se prémunir contre ce type d'arnaque ?
Sans tomber dans la paranoïa ou voir le mal partout, il faut se méfier de tout ce qui est trop beau pour être vrai comme des placements financiers mirifiques ou des besoins d'argent soudains et élevés. Dans ce type d'arnaques, on retrouve des escrocs qui vont s'arranger pour toujours rester anonymes, ne pas être vus, à qui il arrive des situations rocambolesques en termes d'accidents ou de maladie... Toutes ces histoires ont beaucoup d'éléments en commun, donc au moindre doute, il faut venir sur une plateforme comme cybermalveillance.gouv.fr pour voir si ce genre de faits est connu. Le fait de voir que votre histoire correspond à un mode opératoire peut aider. Il faut aussi en parler autour de soi, parce que le pire dans ces cas-là, c'est de rester seul. Et plus tôt on s'en rend compte, plus on a de chance d'être épargné.
— Propos recueillis par Adèle Cailleteau
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