C'est l'histoire assez banale d'un homme marié qui prend une maitresse. Tout devient moins banal lorsque sa femme, Mounette, délaissée, tombe amoureuse du mari de cette même maitresse. Les deux couples, quatre amis inséparables, vont fonder une famille avec leurs amants et maitresses respectives, dans le plus grand secret.
Un épisode réalisé par Julia Mourri, produit par Oldyssey. Musique : Lahar - Mosaïc ; Guazu - Guazu
J’ai rencontré Mounette lorsque j’avais 15 ans, au bord de l’eau, dans une crique dans le nord de l’Espagne. Une amie m’avait invitée à y passer les vacances et toute sa famille, venue de Belgique, avait l’habitude de s’y retrouver pour les deux mois d’été : oncles, tantes, cousins, cousines, enfants, petits-enfants et grands-parents, dont Mounette. Chaque jour en fin d’après-midi, la petite plage devenait le lieu d’une réunion de famille improvisée.
Assise sur le sable à l’ombre des arbres, Mounette portait son jeans et sa chemise, et bavardait avec ceux qui n’étaient pas dans l’eau. C’est certainement là, en séchant sur ma serviette, que nous avons eu notre première conversation. J’appréciais nos échanges, j’avais à la fois l’impression de parler avec la grand-mère qu’elle était : beaucoup de recul sur les événements de sa vie, un tas d’anecdotes rocambolesques à raconter et un sacré don de conteuse. Mais aussi avec une copine : je lui parlais de mes histoires d’adolescente, qu’elle prenait étrangement très au sérieux, et elle rebondissait sur ses propres souvenirs.
Nous n’étions pas forcément d’accord : selon elle, les femmes devaient laisser les hommes respirer et aller voir ailleurs, il ne fallait pas les embêter avec les tâches ménagères. Nous nous sommes croisées en Espagne plusieurs années de suite.
Plus de 15 ans après cette rencontre, je suis retournée voir Mounette à Waterloo, une commune près de Bruxelles. Une conversation avec mon amie, sa petite-fille, m’avait remis en tête la vie amoureuse et familiale peu commune de Mounette. J’avais envie de lui poser un milliard de questions : pourquoi était-elle restée avec son mari malgré leurs relations respectives avec d’autres personnes, pourquoi avaient-ils mis si longtemps à divorcer ? Comment avait évolué sa vie amoureuse et sexuelle après lui, et en vieillissant ?
J’ai retrouvé Mounette à sa maison de repos. Elle n’a pas changé. À 94 ans, elle a simplement du mal à marcher à cause de son talon d’Achille et d’un problème à la hanche, mais elle a toujours son jeans, sa chemise, son collier, ses cheveux blancs attachés en queue de cheval.
Elle ponctue les chapitres de sa vie de forts éclats de rire. Nous sommes toujours en désaccord sur certains sujets, notamment lorsqu'il s'agit de la place des femmes dans le couple. Quand il en va des tâches ménagères ou des relations extraconjugales, elle ne se sent pas en phase avec l’époque actuelle. Son histoire est marquée par les on-dit de la sienne.
Après un déjeuner ensemble et deux heures d’entretien, j’ai les réponses à la plupart de mes questions. Elle m’en a posé beaucoup aussi. Je suis heureuse de l’avoir revue et d’avoir retrouvé sa franchise, son talent de conteuse et la sensation toute particulière que nous n’avons pas 60 ans d’écart.
— Julia Mourri
Bonjour Julie. À l'époque de Mounette, le divorce était très mal vu. Divorce-t-on plus facilement aujourd'hui qu’avant ?
Oui, les divorces et les désunions hétérosexuels sont plus fréquents pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la désapprobation sociale vis à vis des personnes séparées ou divorcées est plus faible aujourd'hui, notamment car il y a une baisse de l'influence du religieux.
Par ailleurs, la loi du 13 juillet 1965 portant sur les régimes matrimoniaux a permis aux femmes françaises de travailler sans le consentement de leur conjoint et le droit de disposer de leurs biens propres. Elles disposent alors de ressources financières propres, ce qui rend plus facilement envisageable une désunion.
Et enfin, les procédures de divorce en 2005 puis 2017 ont été facilitées. On peut maintenant divorcer par acte notarié.
Comment la répartition des tâches domestiques dans le couple a-t-elle évolué ces dernières décennies ?
Si la figure du père a évolué, l'archétype du père dominant laisse peu à peu place à un père à qui on autorise l'expression de ses émotions, dans la pratique la situation évolue à pas de mouches dans la sphère domestique. L’inégale répartition du travail domestique est encore aujourd'hui considérée par les pays membres de l’OCDE comme l’enjeu le plus urgent en matière d’égalité femme-homme, après les violences faites aux femmes et les inégalités de salaire à compétences égales, trois aspects corrélés du continuum des violences faites aux femmes.
Les femmes supportent encore aujourd'hui la plus grande part du travail domestique et des responsabilités familiales, soit entre 60 et 80% (source enquête emploi du temps Insee) en fonction du périmètre retenu. Au fil des naissances, les femmes réduisent de plus en plus leur activité salariée pour s'occuper des enfants. Et, 85% des chefs de familles monoparentales sont des femmes.
Enfin, lors des confinements successifs que nous avons traversés, et la fermeture des structures d'accueil de l'enfant (crèches, écoles, ..) et l'impossibilité de sous traiter certaines tâches domestiques, nous avons pu remarquer que les rôles sont encore très genrés, peu de choses ont été négociées et ce sont les femmes qui ont assuré ce travail pour certaines en plus de leur activité salariée.
Actuellement, lors de la mise en couple hétérosexuel, le partage serait un peu plus égalitaire qu'avant, mais cette situation ne perdurerait pas après l'arrivée d'un enfant, où les rôles genrés se renforcent.
L'allongement du congé du père et du co-parent cet été est un pas vers plus d'égalité femmes-hommes, reste à voir s'il aura réellement l'impact escompté. Seul le temps nous le dira.
— Propos recueillis par Anaïs Delmas
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