Caroline Ida se définit comme une "sexygénaire". Elle s'est lancée sur Instagram il y a quatre ans pour lutter contre l'invisibilisation des femmes de plus 50 ans. À 61 ans aujourd'hui, elle est mannequin et "influenceuse silver", elle parle sur internet et au micro d'acceptation de soi, de ménopause et de sa vie amoureuse.
Un épisode réalisé par Adèle Cailleteau, produit par Oldyssey. Musique : Lahar - Mosaïc ; Guazu - Guazu
Quand j'arrive chez Caroline Ida, je suis accueillie par sa petite chienne de sept mois, toute sautillante. Une odeur agréable plane dans l'air, le canapé est moelleux, les couleurs sont chaudes : l'appartement a des airs de petit nid douillet. Caroline porte un beau pantalon en wax et une veste cocooning. Je m'installe, déballe mes affaires et à peine cinq minutes après mon arrivée, l'interview est déjà commencée.
C’est que Caroline Ida est une pro. Ces dernières années, elle a pris l’habitude des journalistes, des interviews et surtout des photos. Elle est actuellement sur les murs des magasins Darjeeling, en culotte et soutien-gorge. Sa carrière de mannequin a commencé il y a trois ans, après avoir été repérée sur les réseaux sociaux avec son compte Fifty years of a woman. Elle y milite pour que les femmes de plus de 50 ans soient visibles dans la société. Sur Instagram, où près de 50 000 personnes la suivent, on la voit tantôt faire un tuto maquillage et présenter son look, tantôt parler d’acceptation de soi, d’amour, d’orgasme, de ménopause.
À la dernière minute, nous avons décidé de filmer une partie de l’interview. Je craignais que Caroline ait quelques réticences, mais pas du tout : la "silver influenceuse" revendique de se montrer aussi sans fard. Elle évoque avec le plus grand naturel sa vie sexuelle — plus calme depuis le début de la pandémie — et ses collaborations avec des marques de sextoys qui lui envoient régulièrement leurs produits. Ses propos sont clairs et concis, parfois entrecoupés des aboiements de sa chienne qu’elle essaie tant bien que mal de canaliser. À l’âge où beaucoup prennent leur retraite, Caroline Ida semble enchantée de son activité et de l’impact qu’elle a. Elle reçoit souvent des messages de femmes qui disent à cette "sexygénaire" que grâce à elle, elles n’ont plus peur de vieillir.
Une fois l’interview terminée, la petite chienne est devenue toute calme, elle mâchonne l’un de ses nombreux jouets sur mon sac tandis que je prends encore quelques photos pour avoir un portrait de Caroline Ida. Elle prend la pause, me sourit puis regarde dehors, pose sa tête sur sa main. Aucun doute, c’est une pro.
— Adèle Cailleteau
Montrer, pour de vrai, des couples âgés en train de faire l'amour : c'est ce que fait la campagne "Let's talk the joy of later life sex" lancée par Relate en avril dernier. L’organisation britannique qui propose des thérapies et conseils aux couples et familles voulait "mettre en lumière l’invisible". Les clichés, en noir et blanc, montrent cinq couples et une femme seule de plus de 70 ans en train de se donner du plaisir. Ils ont été pris par le photographe de mode Rankin, qui explique : "Le but de la campagne était de briser les conventions et elle l'a fait. Devant et derrière la caméra." Quelques mois plus tôt, sortait en France un film de porno dit éthique racontant l’histoire d’une femme de 69 ans qui met en scène sa dernière relation sexuelle. Avec Une dernière fois, la réalisatrice Olympe de G. voulait "montrer le plaisir féminin à un âge auquel on a l’impression que les femmes n’ont plus droit à la sexualité"(vous pouvez écouter Brigitte Lahaie en parler dans l'épisode 7 de notre podcast et lire l’interview avec la réalisatrice dans notre newsletter).
Derrière la représentation de la sexualité des seniors se cache certes la volonté de briser un tabou, mais aussi un marché. Pour l'industrie du sexe, les personnes âgées représentent une clientèle idéale. "C'est une cible commerciale très intéressante, quand on pense au fait que ce sont des personnes qui gagnent plutôt bien leur vie, par rapport à quelqu'un qui passe le bac ou qui est en formation", explique Johanna Rief, responsable du "sexual empowerment" au sein des marques de sextoys We-vibe et Womanizer. "Et puis quand on est à la retraite, on a du temps. La plupart des retraités ont le temps d'avoir une vie sexuelle bien remplie."
En juillet dernier, la marque We-vibe a réalisé avec Appinio une enquête auprès de 14 500 personnes dans 17 pays. Quand ils s'auto-évaluent, les plus de 55 ans estiment leur libido à 6,02 sur 10, soit juste un tout petit en dessous de la moyenne tous âges confondus (6,46). Ces chiffres à l’appui, We-vibe a lancé la campagne "Silver Sex" : dans cinq vidéos à visée éducative, des plus de 60 ans donnent leurs conseils et expériences en matière de sexe. Pour Irène, 62 ans : "Ça ne doit pas nécessairement être du sexe avec pénétration." Et Peter, 73 ans : "Aujourd’hui, je connais mieux, donc je fais mieux."
We-vibe laisse la parole à des personnes âgées qui parlent de sexe dans un souci d'inclusivité de la part de la marque, explique Johanna Rief, ce qui permet du même coup de courtiser cette clientèle. En bas de la présentation de la campagne, vient la question : "Les sextoys peuvent-ils améliorer la vie sexuelle des séniors ? Spoiler alert : Oui !". Arrive ensuite la liste des "meilleurs sextoys pour les personnes âgées". La marque réfléchit actuellement à constituer un catalogue et à se tourner vers des modes de commande papier, pour que les produits soient aussi accessibles aux consommateurs de la vieille école. Parallèlement, We-vibe est à la recherche de modèles de 70-80 ans, ainsi que d’influenceuses âgées pour présenter les sextoys sur les réseaux sociaux, sans résultat jusqu'à maintenant.
C'est que des Caroline Ida ne se trouvent pas à tous les coins de rue. Beaucoup de marques contactent depuis quelques mois la "silver influenceuse" sur Instagram. "Ils se disent que j'ai un nouveau public, une nouvelle clientèle pour eux", explique-t-elle. "Mais je me suis aperçue qu'à chaque fois que je présente un nouveau sextoy, mes followeuses me disent : 'Ah oui, j'en ai un aussi.' Des petites coquines en fait ! Beaucoup plus que je pensais ont déjà leur sextoy."
— Adèle Cailleteau
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