Christiane habite un petit village corse. À la retraite, elle s'est spécialisée dans les pâtisseries. Ses recettes ont été transmises par les femmes de sa famille et se peaufinent de génération en génération. Bientôt ce sera au tour de son fils de réaliser son fameux moelleux à la farine de châtaigne.
— Réalisation : Clément Boxebeld, Julia Mourri | Montage : Hélène Boursier
"Pain et gâteaux corses". L’ardoise sur le palier de la porte indique au visiteur qu’il est arrivé à bon port. Christiane Albertini est connue dans toute l’île pour ses pâtisseries. Et si l’écriteau n’est pas assez visible, l’odeur d’un moelleux sorti du four ou les enfants qui vont et viennent dans sa maison achèvent de guider les pas de ceux qui la cherchent.
Si Christiane, comme toutes les femmes de sa famille, a toujours su cuisiner les recettes corses, elle s’y est pleinement consacrée sur le tard. Elle commence à La Poste à Bastia, puis le travail de son mari, marqueteur, pousse le couple et leurs garçons à voyager. Elle attendra 1973 pour s'installer à Palasca, le petit village de son enfance. Très vite, sa maison devient le point de ralliement des plus jeunes quand sonnent 17 heures. "On faisait de ces goûters ! Et je donnais autant aux autres enfants que je donnais aux miens."
En 1982, Christiane se lance dans un CAP Cuisine. "J’ai eu mon diplôme le 9 juillet. Le 11 juillet, je rentrais travailler à la maison de retraite de l'Âge d’or, en cuisine. Ce que ça me plaisait !" Mais il faut attendre la retraite pour qu’elle se spécialise dans ce qu'elle préfère, la pâtisserie. Elle fait les fiadones, ces gâteaux corses à base de brocciu, les macarons — "Les vrais macarons corses, pas ceux de Pierre Hermé !" — les frappes, ou encore le moelleux à la farine de châtaigne, un classique dans sa famille. Logique, nous dit-elle, sa mère était originaire de la région de Castagniccia, peuplée de châtaigniers.
La pâtissière attribue humblement la réussite de ses gâteaux à la qualité des produits. De la farine de châtaigne, de la poudre d’amandes ou de noisettes utilisées, dépendront le cœur fondant du macaron, la souplesse du moelleux.
Les ingrédients et les quantités, elle les connaît sur le bout des doigts, mais elle annote de temps en temps ses dernières trouvailles dans un vieux livre de cuisine du chef Raymond Oliver, jadis offert par son beau-père. Les pages sont jaunies et les recettes de Christiane, écrites à la main, se glissent dans les marges des pages cornées.
Parmi celles-ci, celle des canistrelli, ou oliose, ces biscuits au sucre et à l’huile d’olive, qui font indiscutablement la renommée de Christiane. On les mange pour accompagner un café comme à Noël, en entrée, avec le foie gras. "Ou simplement avec un pâté corse. C’est un dé-lice", dit-elle, un fichu rouge imprimé "Corsica" sur la tête.
En Corse, les canistrelli se déclinent aux amandes, aux herbes ou encore aux figues ; on en trouve dans les petites échoppes signalées par un simple carton "Produits corses" en bord de nationale, comme dans les grands supermarchés. Mais au village, les anciens, Nancette, Marie ou Alexandre, sont unanimes : les meilleurs biscuits de l’ïle, ce sont ceux, natures, de Christiane.
La Palascaise aime partager et transmettre ses recettes. Mais celle des canistrelli est bien gardée. Il lui a fallu un mois, à raison de plusieurs essais par jour, pour la peaufiner. Alors il n’y a qu’à sa belle-fille, qui va reprendre l’activité, que Christiane l’a transmise. C’est son secret de famille. Et cette confidence est bien la seule chose dont Christiane soit avare.
Aujourd’hui encore, sa maison, située à quelques pas de la place du village, reste le point de ralliement des enfants au goûter. Et ceux qui ont 15, 16 ans et n’osent plus venir envoient les plus petits récolter des canistrelli, des frappes et des bonbons.
— Texte : Julia Mourri, Photos : Clément Boxebeld, Julia Mourri
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