"Le sel, ça conserve", Fernand et Josiane en sont la preuve. Âgés de 85 ans, ce sont les plus vieux sauniers de l'île de Ré. Aujourd'hui à la retraite, ils ne quitteraient pourtant pour rien au monde leur marais. En cuisine, le sel ne manque pas non plus : Josiane nous montre sa recette locale de poisson en croûte de sel.
— Réalisation : Adèle Cailleteau, Hugo Charpentier | Montage : Adèle Cailleteau
"Vous allez voir l'homme", nous dit Fernand dans un sourire, en retirant sa chemise. Le saunier se met à l'aise pour tasser la montagne de sel. "Les jeunes ne font plus ça maintenant, explique-t-il. C'est du superflu, pour que ça soit beau, on a toujours appris à bien lisser son tas." Lui continue de récolter à la manière de ses ancêtres. Ce matin-là d'août, il a "roulé" les quelque 400 kg de gros sel ramassés la veille jusqu'à l'entrée de son marais salant, sur le "tas à Fernand". Sa particularité ? "Il est bien fait... et il est petit." Fernand rigole. Son tas à lui ne pèse qu’une douzaine de tonnes. Comme il est à la retraite, interdiction d’exploiter plus de vingt carreaux.
À le voir planter sa pelle en sifflotant, impossible d'imaginer qu'il fréquente le marais depuis plus de 75 ans. Il est pourtant bien né en 1937. La même année que Lionel Jospin, qui vit dans ce même village d'Ars sur l'île de Ré et dont la promenade quotidienne passe aux abords du marais de Fernand. "C'est un intellectuel, il a besoin de marcher", sourit-il.
Au marais, l'octogénaire ne travaille pas seul. Josiane, son épouse – elle aussi née en 1937 –, tire le sel avec lui. "C'est une fille de paysan, dit-il. Je l'ai trouvée sur la place d'Ars, ma femme, à 200 mètres. Et on a tout fait ensemble, la chorale, le catéchisme... et même les enfants !", plaisante-t-il. Pas besoin de dire un mot pour que l'une et l'autre se mettent au travail, chacun à sa tâche. Muni de son simoussi, Fernand pousse le gros sel coulé au fond de l’aire sur le rebord. Josiane se sert quant à elle du souvron pour faire des tas sur le bord des allées en argile. Ils ont la complicité tonitruante de ceux qui se sont toujours connus.
Leur sel, Fernand et Josiane le vendent à la coopérative, fondée sur le principe selon lequel l'union des sauniers fait leur force. Le gros leur est acheté à 40 centimes le kilo, contre près de dix fois plus pour le kilo de fleur de sel. Elle est constituée de fins cristaux qui se forment en surface, joliment rosés par les algues. Sur l’île, on ne la ramasse que depuis une quarantaine d'années. "C'est une mode, explique Fernand. C'est Guérande qui a inventé ça et nous, on a suivi." La fleur de sel a les mêmes propriétés que le gros sel mais son élégance a ouvert un nouveau marché – surtout à destination des touristes. De quoi redynamiser les marais salants. Ils avaient largement perdu de leur intérêt avec l'invention du réfrigérateur puis du congélateur qui ont détrôné le sel pour conserver les aliments. "Ça commençait à mourir, se souvient-il. Si ces 40 ou 50 jeunes n'étaient pas venus, il n'y aurait plus de marais salants."
En cuisine, le sel ne manque pas. Josiane enrobe son poisson dans une épaisse croûte de cristaux gris avant de le mettre au four. Étonnamment, le plat n’est pas particulièrement salé (il est impératif de garder les écailles du poisson pour réussir la recette). Alors sur la table, il y a bien une soucoupe de fleur. "À moi, il me faut ma salière, explique Fernand en rigolant. Le sel, ça conserve."
— Texte : Adèle Cailleteau, Photos : Adèle Caileteau, Hugo Charpentier
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