Trois types de fromages, les muscles de son petit-fils pour râper tout ça et une bonne dose de patience. La fondue suisse est une institution dans la famille d'Hervé, on en mange toutes les semaines pour tenir jusqu'aux beaux jours.
— Réalisation : Adèle Cailleteau, Anaïs Delmas | Montage : Richard Adle
Une fondue aux fromages, au soleil, près d’Avignon. Le rendez-vous est incongru. C’est l'une des innombrables fondues de la saison chez les Cornillon. Muriel et Jackie nous accueillent dans leur maison du village provençal de Maillane. En retrait, Hervé, notre star du jour. C’est ce grand monsieur moustachu qui va nous préparer la recette héritée de son beau-père suisse.
Hervé et Muriel, le père et la fille, ont l’accent provençal. Mais tout le monde a la double nationalité ici. C’est Jackie, la mère, qui vient de là-bas. Elle-même n’a jamais fait une fondue de A à Z, parce que la fondue, "c’est une histoire d’hommes". Hervé, blagueur, explique : c’est parce que le cuisinier verse la moitié du vin blanc dans le caquelon pour la fondue et l’autre moitié dans son gausier. Quoiqu’il en soit, c’est le père de Jackie qui a appris à Hervé à préparer la fondue un peu avant leur mariage, et bien avant que la fondue ne devienne le plat national suisse. À l’époque, le plat n’était typique que de quelques régions du pays helvétique, dont le canton de Vaud.
Et à chaque famille, sa recette. Chez les Cornillon, la fondue se prépare avec trois fromages qui doivent être de qualité (sinon, pas de fondue) : du gruyère suisse (sans trous), de l’Appenzeller et du vacherin fribourgeois. Et chez les Cornillon, la fondue c’est une fois par semaine pendant tout l’hiver — et même un peu après. Dehors, c’est presque l’été en Provence ; dedans, installées dans le canapé bleu et entourées de tableaux des Alpes, on se croirait dans les montagnes suisses.
Une heure après notre arrivée, la première étape de la préparation commence. Tom, le petit-fils de Hervé, est entre-temps arrivé. Il aide son grand-père à se relever du canapé et le suit en cuisine pour jouer le petit apprenti, "l’arpète" comme nous dit Hervé. Tom râpe le fromage, apporte les ingrédients et répète à son grand-père bien fort les questions que nous posons. La communication n’est pas évidente, mais Hervé joue le jeu et recommence chaque geste que nous n’avons pas pu filmer du premier coup. Anaïs est en charge du son et des photos ; je m’occupe de l'image et de poser les questions. Pour nous deux, qui ne sommes pas des habituées de la fondue, Hervé rajoute du bicarbonate qui doit faciliter la digestion.
Avant de mettre la préparation sur le feu, on passe à l’apéritif. J’en profite pour recharger la caméra avant de goûter dans des petits verres typiques à de l’Yvorne, un vin blanc sec rapporté de Suisse et qui se marie à merveille avec la fondue. On parle de la Provence, des Alpilles dans lesquelles Hervé aime se promener — plus difficilement depuis son AVC.
Vient l’étape ultime : celle de la chauffe. Une fois sur le feu, la fondue doit être chauffée en permanence jusqu’à ce que tout soit mangé. Hervé touille. "H moins deux minutes", puis "c’est prêt", crie-t-il, pour que tout le monde se mette à table. Tom apporte le plat dans son caquelon. La fondue, "c’est un travail d’équipe": il faut en permanence qu’une personne remue le plat, avec sa pique équipée de son bout de pain.
En accompagnement : un vin blanc sec, ou bien du thé – "une hérésie", me chuchote Hervé. En tout cas, surtout pas de l’eau qui risquerait de figer la fondue dans l’estomac. Hervé nous parle de sa passion pour le fromage et de son travail de boulanger, le sixième et dernier de sa lignée. Il avait prévu 200 grammes de fromage par personne. Nous ne parvenons pas à finir : c’est exceptionnel chez les Cornillon. Sans doute la faute à Anaïs et moi qui manquons d'entraînement. Le repas se termine avec un gâteau aux abricots préparé par Jackie et un café – boisson fraîche interdite dans les deux heures après la fondue.
— Texte : Adèle Cailleteau, Photos : Anaïs Delmas
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